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Interview : Sculpteur et tailleur de pierre

03 octobre 2012

Je rencontre Vincent Poutret dans le Vieux Lille par une belle après-midi ensoleillée, il m'invite à nous rendre devant l'église Sainte-Mari

Sculpteur et tailleur de pierre

Vincent Poutret (31 ans)

Société: Atelier Pygmalion

Sculpteur et tailleur de pierre

Je rencontre Vincent Poutret dans le Vieux Lille par une belle après-midi ensoleillée, il m'invite à nous rendre devant l'église Sainte-Marie Madeleine dans la rue du Pont Neuf sur laquelle il a travaillé dernièrement. Quelques mètres plus loin, nous nous retrouvons face à ce très bel édifice reconstruit au XVIIe siècle et rénové au XIXe. Vincent me parle des ornementations de la façade qu'il a rénovées. Notamment deux anges sur le frontispice qui ornent le dessus de la porte principale. Il semble en être particulièrement fier car leurs ailes rénovées à l'identique auront nécessité des recherches, et une grande maîtrise pour redonner l'aspect qu'elles avaient lors de la construction de l'église. Il aura eu la gentillesse de me parler de son travail de passionné.

Quel a été votre parcours pour faire le métier que vous faites aujourd'hui ?

Après la troisième j'ai fait un CAP taille de pierre et un Brevet Professionnel tailleur de pierre avec une spécificité Monuments historiques (BPMH). Mais il existe des BP sans la qualification Monuments historiques. C'est lors de mes stages que je me suis intéressé à la sculpture sur pierre, en effet ma formation en alternance m'a permis d'aller dans différentes villes de France (Nice, Blois, Arras, Gand) où j'ai rencontré des personnes qui m'ont donné envie de connaître le métier. Comme il n'existe pas vraiment de formation en sculpture de pierre, le chef d'atelier d'Arras chez qui j'étais m'avait conseillé l'école des Beaux Arts d'Arras qui venait d'ouvrir. J'ai suivi son conseil et y suis resté 3 ans. Si je n'ai pas été entièrement satisfait de l'enseignement, mes études là-bas m'ont permis de sortir des connaissances très carrées que j'avais apprises durant mon CAP. Cette longue formation me donne un DRMA (Diplôme Régional des Métiers d'Art).
Pour revenir sur la formation, certains de mes collègues viennent du bois et ont fait un CAP ornementaliste bois car il est plus facile de passer du bois à la pierre que l'inverse.

Quels sont les édifices sur lesquels vous avez déjà travaillé ?

Je travaille majoritairement sur des édifices du patrimoine. Dans la région Nord-Pas de Calais j'ai travaillé sur l'église Sainte Catherine de Lille, la Porte de Gand, la cathédrale de Saint- Omer, et des églises de la côte de style gothique flamboyant, la Chapelle du Saint Esprit à Rue, l'abbatiale de Saint-Riquier, la collégiale d'Abbeville, l'église d'Eu. Tous ces chantiers ont vraiment été très intéressants et m'ont appris énormément en technique.

Quelles sont les différentes étapes de votre travail ?

Tout d'abord le dessin. On commence par des croquis préparatoires. Cela peut être fait sur le chantier notamment lorsqu'il est demandé de refaire un personnage similaire à un autre sur le lieu de l'édifice. Ensuite, on va faire un modelage en argile pour bien appréhender le modèle. Mais si c'est de l'ornementation que l'on maîtrise bien, on n'a pas besoin de passer par ces étapes, on peut travailler directement la pierre sur le chantier. Si on travaille sur du statuaire ou des gargouilles, ou autres chimères et que la pierre est érodé, on devine ce qu'il y avait à l'origine. On va donc faire une reconstitution en terre directement sur le modèle. On va mettre de la terre et essayer de reconstituer le volume, ce qui va être présenté à l'architecte qui va valider le modèle puis une copie en pierre de la maquette va être tirée. Un tirage en plâtre du modèle peut être exigé par le maître d'œuvre ou d'ouvrage. Le maître d'œuvre étant l'architecte et le maître d'ouvrage étant la ville, l'état.

Comment accédez-vous aux chantiers sur lesquels vous travaillez ?

Eh bien on répond à des appels d'offres de l'état. Cela implique de monter un dossier pour chaque chantier. Ce sont des notes méthodologiques sur comment je vais travailler, c'est le protocole de restauration que je vais suivre sur les éléments qui restent.
J'inclus des photos et des recherches d'archives qui seront approfondies si j'obtiens le marché.

Qui remporte les appels d'offres ?

Il y a quelques années, on disait que c'était le « mieux disant », le plus cher, qui remportait le marché. Aujourd'hui c'est plutôt celui qui est le « moins disant », le moins cher. Cela est dû au manque de budget pour la rénovation du patrimoine. Le plan de relance de cette année a permis de réinjecter 100 milliards d'euros au budget ce qui amène à un budget de 400 milliards d'euros pour cette année mais ceci n'est pas encore suffisant pour qu'il y ait un regain d'activité des entreprises de restauration en France. Lorsqu'on chiffre un chantier, on doit évaluer la concurrence car s'il y a une entreprise qui propose moins cher à deux ou trois milles euros près, on peut perdre le chantier. Cela m'est arrivé notamment pour la cathédrale d'Amiens.

Quelles sont selon vous les connaissances nécessaires ?

Des connaissances en histoire de l'art sont nécessaires. Il faut avoir la compétence de passer d'un style à l'autre car on peut travailler sur un édifice gothique et le mois d'après sur un édifice renaissance. Les motifs sont bien évidemment différents mais ce n'est pas la même manière de traiter la pierre, l'outillage utilisé va être différent aussi. Avoir quelques connaissances en géologie peut être nécessaire pour adapter la taille à la pierre mais pas seulement.

Quel est le conseil que vous donneriez à un jeune qui souhaiterait se lancer dans la même voie que vous ?

Bouger ! Cela permet de connaître des techniques, des matériaux différents. Et même d'un point de vue personnel le fait de travailler très loin de chez soi vers 17-18 ans forge le caractère, apprend la vie. Les premières années professionnelles sont importantes pour mieux cibler ce que l'on veut faire et connaître le plus de techniques possibles.
Les meilleurs professionnels que l'on rencontre aujourd'hui ont tous bougé.

Quels sont les avantages et les inconvénients du métier ?

Les inconvénients c'est le temps qui peut jouer en notre défaveur. Parfois la pierre peut mal réagir notamment lorsqu'il fait trop froid et que la pierre est humide, elle est gelée et on ne peut pas travailler dessus. La vie en déplacement peut être difficile à supporter car c'est un métier qui oblige à bouger tous les jours, donc on n'est pas sûr de rentrer chez soi tous les jours. C'est spécifique au métier de sculpteur et de restaurateur car les tailleurs de pierre peuvent travailler sur place et n'ont pas besoin de bouger de chantier en chantier.

Quel est la période que vous préférez ?

Le gothique. C'est un type de sculpture plus libérée que je trouve très réjouissant. La Renaissance sinon me plaît beaucoup pour la finesse de ses détails.

Les machines peuvent-elles vous remplacer?

Pour l'instant il y a des machines efficaces en taille de pierre, des grosses machines qui sont des débiteuses à commande numérique. Ce sont des gros disques qui tournent et qui font des moulures etc. Pour le moment, elles ne savent pas encore faire des choses très compliquées. En sculpture on n'avait rien, et là depuis 5 ans on a des fraiseuses qui viennent tourner autour du bloc de pierre pour le travailler. Pour nettoyer la pierre, des lasers sont utilisés mais cette technique fait polémique car certaines pierres auraient mal réagi à cette méthode.

Quel a été votre investissement de départ pour vous lancer dans l'entrepreuneuriat?

L'achat de mon véhicule, quelques outils, un ordinateur. En tout j'ai investi 30 000 euros. Pour les jeunes créateurs d'entreprises, il y à des bonnes aides dans le Nord, surtout pour les moins de 30 ans.

Quelle est votre ambition pour plus tard ?

Avec mon collègue nous espérons que l'atelier Pygmalion devienne l'acteur principal en sculpture dans la région. Nous n'avons pas de concurrence directe dans la région mais comme le marché de la sculpture n'est pas énorme la concurrence se fait avec des entreprises de toute la France. Il faut savoir bouger, faire de nombreux déplacements entre les chantiers.

Avez-vous toujours voulu être sculpteur sur pierres ?

Au départ je voulais être photographe et puis au fil du temps, je me suis bien intéressé à la pierre. Mon père était maçon donc mes parents m'ont encouragé dans la voie du travail manuel. Lorsque j'ai commencé en taille de pierre cela me plaisait mais je n'étais pas entièrement dans mon élément. Mais en commençant la sculpture je savais que c'était exactement ce que je voulais faire. J'ai eu la chance d'être au bon endroit au bon moment. Pour l'instant, je suis content de mon parcours professionnel.
VB21/09/2009
Sculpteur et tailleur de pierre