Interview : Coutelier
Claude Bouchonville exerce la profession de coutelier professionnel depuis trois ans. Il a toujours été attiré par ces objets à la fois esthétiques et pratiques. Il vend aujourd’hui ses couteaux sur internet dans le monde entier, mais également à l'occasion de festivals spécialisés.
Claude Bouchonville exerce la profession de coutelier professionnel depuis trois ans. Il a toujours été attiré par ces objets à la fois esthétiques et pratiques. Il vend aujourd’hui ses couteaux sur internet dans le monde entier, mais également à l'occasion de festivals spécialisés.
Comment en êtes-vous arrivé à ce métier ?
J’ai toujours adoré les couteaux comme plein de petits garçons. J’en avais toujours un dans la poche. J’ai grandi dans une ferme où de nombreuses occasions d’utiliser de tels outils se présentaient. Cette attirance ne m’a jamais quittée depuis, de même que celle pour les matériaux qui composent les couteaux.
À l’âge de 17 ans, j’ai suivi une formation de maréchal ferrant, puis j'ai travaillé dans différents métiers du bâtiment, de la pose de cuisines à la couverture de maisons. Il y a une vingtaine d’années, je suis tombé par hasard sur une revue parlant du Damas, une technique de traitement du métal qui crée des motifs sur la lame du couteau. J’ai voulu en apprendre plus. Mais à l’époque, internet n’en était qu’à ses balbutiements et j’ai eu du mal à trouver des informations sur le sujet.
Puis je me suis rendu sur un salon spécialisé à Gembloux (Belgique) durant lequel j’ai rencontré un coutelier anglais vivant en Hollande. C’est lui qui m’a appris cette technique.
Par la suite, j’ai commencé cette activité de coutelier. D’abord comme un complément de revenu. J’en vis depuis trois ans maintenant.
Cette activité est-elle confidentielle ou au contraire connue du grand public ?
C’est une profession plutôt confidentielle que seuls connaissent les collectionneurs de couteaux. Il faut dire qu’il y a beaucoup d’amateurs dans notre domaine et aucune structure ni association professionnelle ni aucune réglementation concernant l’exercice professionnel de notre artisanat n'existent.
De plus, chaque coutelier est un peu jaloux de son savoir-faire et nous ne communiquons pas beaucoup entre nous. Il y a donc très peu de partage professionnel.
Comment parvenez-vous à vivre de la fabrication de couteaux ?
Mes clients sont présents dans le monde entier grâce à internet. Via mon site web bien entendu, mais également par les réseaux sociaux, Facebook et Instagram auquel je viens de m’inscrire. À travers eux, je sais que les personnes que je touche sont réellement passionnées par les couteaux. Une pièce que je poste peut faire le tour du monde et toucher des milliers de personnes. Ainsi, le gros de ma clientèle est étrangère, surtout allemande.
Ces ventes sont-elles essentiellement des commandes ou des achats spontanés ?
Je pense que les commandes concernent environ un tiers de mes ventes totales. Le reste concerne des productions que je réalise en suivant ma propre idée.
Qu’est-ce qui vous attire le plus dans votre métier ?
Sur le plan de la création pure, j’aime beaucoup la technique du damas qui permet une infinité de possibilités. Il est en effet impossible de reproduire le même motif deux fois de suite.
Ce que j'aime aussi dans mon métier, c’est de pouvoir créer des objets à la fois jolis et utiles et qui me permettront de laisser une trace de mon passage sur Terre.
J’aime voir les yeux des collectionneurs qui s’illuminent lorsqu’ils se saisissent de l’un de mes couteaux. C’est sans doute la chose qui me motive le plus.
Enfin, je pense que l’acte de forger en lui-même change la vie et me pousse à donner le meilleur de moi-même à chaque fois.
Y a-t-il une journée type d’un coutelier ?
Surtout pas ! Je ne pourrais pas supporter la routine. Je gère mon travail comme je l’entends presque sans contraintes. Je fais juste attention à ne pas faire traîner les commandes en cours, car il est important pour moi de les satisfaire au plus vite.
Et à propos de vos missions ?
Je suis sans cesse à la recherche de matières premières et je me tiens toujours à l’affût de la nouveauté pour trouver des techniques créatives innovantes. Je peux rester des heures devant mon stock à évaluer ce dont je dispose pour déterminer les meilleures combinaisons possibles.
Et bien entendu, je contacte les clients, prends leurs commandes et fabrique les couteaux.
Comme les écrivains, avez-vous l’angoisse de la « page blanche » ? Et comment la surmontez-vous ?
Oui, cela m’arrive. J’ai parfois l'impression d’avoir fait le tour de la question. Lorsque ça m’arrive, je surmonte ce blocage en naviguant sur internet pour trouver de l’inspiration. Il faut cependant faire attention à ne pas tomber dans le plagiat et à garder une idée à l’esprit. Bien qu’esthétiques, les couteaux doivent avant tout se montrer pratiques.
Quelle part de votre travail est consacrée à la réflexion autour du concept de couteau que vous voulez créer ?
À vrai dire, je dessine très peu. J’œuvre plutôt de manière instinctive au fur et à mesure du travail de forge. La forme vient donc d’elle-même. Néanmoins, j’ai besoin de jeter les bases d’un projet sur un dessin. Je pense que cela varie beaucoup en fonction du projet sur lequel je travaille.
Quelles qualités faut-il pour être un bon coutelier ?
Être humble, car on apprend tous les jours. On ne peut pas tout savoir. Il faut plusieurs années pour parvenir à maîtriser une technique, la patience est une qualité indispensable. De trop nombreuses personnes veulent tout, tout de suite sans prendre le temps d’apprendre.
Il faut savoir se remettre en question et ne pas hésiter à tester soi-même ses produits. De nombreux couteliers, amateurs notamment, créent des pièces certes très esthétiques, mais que l'on ne pourra jamais utiliser à cause de leur aspect trop peu pratique.
Coutelier est un métier que l'on ne peut pas faire sans passion. Il faut sacrifier de nombreuses choses pour pouvoir réussir et fournir beaucoup d'efforts.
Des conseils pour ceux qui voudraient se lancer ?
De travailler encore et encore, car c’est la seule chose qui paie. Améliorer sa technique, apprendre toujours. J’ai mis dix ans avant de pouvoir vivre de ma passion et cette décennie a parfois été très dure.
Il ne faut jamais baisser les bras et lutter contre cette envie.