Dossier : Discrimination à l'embauche
Selon l'Apec, 44 % des recruteurs sont acoquinés avec la discrimination.
Ne pas obtenir un poste de travail sur la base de critères extra-professionnels constitue aujourd'hui en France une réalité. La discrimination à l'embauche s'apparente à une « maladie honteuse » qui éloigne toujours plus notre pays de ses principes fondateurs que sont la liberté, l'égalité et la fraternité. La discrimination positive et le CV anonyme sauront-ils redonner aux compétences la première place qui lui revient de droit sur le podium des critères de recrutement ?
DÉFINITION
Socialement, la discrimination consiste à distinguer un groupe de personnes des autres et à lui appliquer un traitement spécifique. Cette réduction arbitraire des droits induit une dévalorisation du groupe visé. La discrimination suppose deux éléments : un traitement particulier, une absence de justification de ce traitement particulier. Ainsi, il semble clair que, par exemple, les congés de maternité constituent bien un traitement particulier mais que ces avantages ne sont pas discriminatoires puisqu' ils sont adaptés à la situation. A contrario, une personne obèse ne peut en aucun cas se voir refuser un poste de comptable à cause de son poids car cette fois-ci l'application d'un traitement particulier ne se justifie absolument pas.
QUE DIT LA LOI ?
Le Code du Travail est très clair et définit clairement l'ensemble des situations où la discrimination peut entrer en jeu. Sa lecture est plutôt instructive : « Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son patronyme ou en raison de son état de santé ou de son handicap ».
Changer de prénom pour trouver un emploi
Comme l'a révélée la pratique du « testing », la discrimination à l'embauche existe bel et bien en France. Ainsi, on remarque que certaines personnes sont dans l'obligation de changer de prénom dans le but de passer la première étape de sélection et d'obtenir un entretien. Ainsi, à un niveau d'études équivalent, Thomas décrochera plus facilement un entretien d'embauche qu'Abdelatif alors qu'il s'agit de la même personne ! Toutefois, comment prouver que c'est bien à cause d'une origine ethnique ou d'une orientation sexuelle qu'une personne n'a pas été embauchée ? Le droit français, au nom du principe de présomption d'innocence, fait peser sur le discriminé la charge de la preuve et, sauf rares exceptions, apporter la preuve de l'intention discriminatoire s'apparente à une mission impossible. D'où le faible nombre de condamnations malgré l'augmentation du nombre de plaintes. Bien souvent, les entreprises justifient la non recevabilité de certaines candidatures en raison de la rationalité économique. Le chargé de recrutement n'est pas systématiquement raciste ou homophobe, mais il anticipe sur les réactions négatives supposées de ses clients face à des personnes typées ou homosexuelles.
LUTTER CONTRE LES DISCRIMINATIONS
La discrimination positive
La discrimination positive est un principe : il s'agit paradoxalement d'instituer des inégalités pour promouvoir l'égalité, en accordant à certains un traitement préférentiel. En France, des mesures de discriminations positives ont déjà été prises pour tenter d'enrayer la « mauvaise » discrimination.
Citons, par exemple :
- la loi du 10 juillet 1987 en faveur de l'emploi des travailleurs handicapés qui impose à toute entreprise de 20 salariés ou plus d'employer au moins 6% de travailleurs handicapés.
- les lois sur la parité, qui se fixent comme objectif une égale représentation des hommes et des femmes dans le champ politique.
- les conventions ZEP/Grandes écoles qui permettent à des lycéens issus d'une zone d'éducation prioritaire d'intégrer certaines grandes écoles sans avoir à passer de concours d'admission.
Toutefois, ne peut-on pas voir dans les politiques de « discrimination positive » une entorse au principe républicain de non-discrimination, c'est-à-dire, de traitement égal, uniforme, de tous, quelque soit son appartenance ethnoculturelle ou sa religion ? Instaurer des inégalités est-il un bon moyen de promouvoir l'égalité ? N'est-il pas dommage de devoir réduire certaines personnes à des caractéristiques extra-professionnelles ? Par ailleurs, ne peut-on pas assimiler la discrimination positive à une politique de charité et d'assistance qu'on peut considérer comme une injure faite aux groupes défavorisés ?
Le CV anonyme
Selon l'APEC, seul 4% des entreprises auraient eu recours au CV anonyme en 2013. Cependant, malgré sa maigre utilisation, celui-ci veut diminuer la discrimination à l'embauche en France. Le CV anonyme consiste dans son principe à effacer l'état civil d'un candidat, de manière à ce que son âge, son sexe, son adresse et sa nationalité n'apparaissent pas lors du processus de recrutement. Facile à mettre en œuvre et peu coûteuse, cette méthode a le mérite de baser la sélection d'un candidat exclusivement sur ses compétences. Aussi, ce système permettrait aux recruteurs de réexaminer d'un œil nouveau certaines candidatures alors systématiquement écartées par mauvaise habitude. En toile de fond, la mise en place du CV anonyme pose un problème d'envergure : doit-on masquer son identité pour trouver du travail en France, le pays des Droits de l'Homme ? De surcroît, l'on peut s'interroger sur l'aspect « poudre aux yeux » et démagogique d'une telle mesure dans le sens où, in fine, il reviendra au recruteur après l'entretien d'embaucher ou non le candidat. Un choix qui pourrait très bien, cette fois-ci, s'appuyer sur la couleur de sa peau, son poids ou son âge. Un CV « nettoyé » laissera certainement une chance à certains candidats de convaincre un employeur mais ne pourra pas lutter contre les préjugés. (Pour plus d'informations, n'hésitez pas à consulter le dossier consacré à l'utilisation des CV anonymes en France)